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24 avril 2010 6 24 /04 /avril /2010 06:27

4.4 La poursuite  de l'arabisation (1979-1999)

En 1979, le colonel Chadli Bendjedid, qui ne  parlait pas français (mais le kabyle qu'il

détestait), succéda à Boumédiène. Dès son arrivée au pouvoir, Chadli engagea une politique de libéralisation économique et sociale, mais passa à la vitesse supérieure en matière d'arabisation et d'islamisation. Sa présidence suscita de nombreux espoirs, mais Bendjedid se fit rapidement une réputation de prodigalité à l'égard de ses «amis» et en vint à renforcer le climat de corruption qui régnait déjà dans le pays. C'est à cette époque qu'apparut l'islamisme radical.

- L'islamisation de l'enseignement

Pendant que l’arabisation de l’enseignement se poursuivait, le président Chadli interdit aux élèves algériens de fréquenter les établissements de la Mission culturelle française, ce qui privait ainsi l’élite algérienne de la seule possibilité qu’il lui restait de contourner l’arabisation. De plus, un puissant lobby tentait de réduire la place du français en lui substituant l'anglais en option à la quatrième année primaire. En réalité, ce n'était plus l'arabisation qui importait, mais l'islamisation de l'enseignement. Beaucoup d'observateurs étrangers portèrent un regard crique sur la qualité de l'enseignement dispensé dans les écoles publiques algériennes. On parlait alors de «semi-analphabètes complètement arabisés, islamistes, populistes et xénophobes» (d'après J. P. Entelis, «Elite political culture ans socialization in Algeria: tensions and discontinuities» dans Middle East Journal, vol. 25, 1981).

En 1986, le Parlement algérien adoptait la loi 86-10 du 19 août 1986 portant création de l'Académie algérienne de langue arabe, qui devait veiller à l’enrichissement, la promotion et le développement de la langue arabe pour assurer son rayonnement. Le président Chadli aurait lui-même choisi le siège social à Alger, mais il lui fut impossible de mettre la loi en pratique. Il faudra attendre en 1998 pour que le président Zéroual nomme enfin un président officiel aux 30 «Immortels» permanents. Le gouvernement entreprit des campagnes au moyen de divers slogans dont les plus fréquents furent «Agression culture étrangère», «Intoxication culturelle et idéologique étrangère», «Tentatives d'aliénation», «Déviation culturelle», «Ennemis de l'islam», etc. 

- Le «printemps berbère»

Commencé en 1980, le «printemps berbère» prit par la suite de l'expansion. C'est que les Berbères remettaient toujours en cause l'arabisation intensive dont ils étaient les grands perdants. Toute la Kabylie se souleva en bloc! Les première émeutes éclatèrent en 1988 et furent vite réprimées. Les autorités algériennes accusent les pays étrangers, dont la France, d'être la cause de ce soulèvement populaire. Jamais elles pensèrent même que ce pouvait être leur propre politique de négation de l'identité berbère, qui avait pu causer la révolte. Au même moment, les étudiants islamistes arabisants avaient lancé des grèves afin d'exiger l'application immédiate de l'arabisation de l'administration; ils estimaient qu'ils ne pouvaient pas trouver d'emploi aux termes de leurs études avec leur diplôme arabe. L'enseignement supérieur se dégrada rapidement devant l'islamisation, le manque de ressources financières et la pénurie de manuels en arabe.

Les émeutes d’octobre 1988 conduisirent à une libéralisation du régime. Le président Chadli fit adopter par référendum une nouvelle constitution en février 1989, qui ouvrit l'Algérie au multipartisme. En fait, c'est le ras-le-bol des Algériens qui avait mis fin au système du parti unique pour instaurer la liberté d'expression, qui fut rapidement muselée dès 1992. Rappelons que les Berbères n'étaient pas contre l'arabisation en soi, mais ils désiraient que leur «langue» soit reconnue et qu'elle serve avec l'arabe à l'expression de la culture algérienne.

- Les lois linguistiques

L'ouverture démocratique de 1988 a permis une mise en concurrence des langues en Algérie (arabe algérien, arabe classique, français et berbère), mais c’est le français qui en est sorti grand vainqueur. Pendant ce temps, la plupart des des personnalités et des haut cadres de l'État faisaient instruire leurs enfants en français dans les écoles privées. Après la longue descente aux enfers de l'Algérie «socialiste», le pays dut passer par la guerre civile. En 1990, profitant de la faiblesse du pouvoir, le président du Parlement algérien, Abdelaziz Belkhadem, imposa la lecture de versets du Coran au début de chaque séance parlementaire.

En juin de la même année, le Front islamique du salut (FIS) remporta les premières élections municipales démocratiques. Les résultats qu'obtint ce parti confessionnel provoquèrent un putsch militaire. Chadli eut le temps de faire adopter par le Parlement la loi d’arabisation du 16 janvier 1991, qui sera plusieurs fois reportée, mais jamais abrogée. La loi française no 91-05 du 16 janvier 1991 avait servi de modèle. Puis le président Chadli fut destitué le 11 janvier 1992 par l'armée, qui interrompit le processus de démocratisation, tandis que le Haut Conseil de sécurité (HCS) annulait le résultat des élections.

- L’assassinat du président Boudiaf

Les autorités algériennes, plus précisément l'armée, firent appel à Mohamed Boudiaf, alors âgé de 73 ans et réfugié au Maroc, en espérant que celui-ci puisse demeurer discret sur les dossiers peu reluisants du Haut Comité d'État (HCE); le président resta six mois à la tête du pays avant de se faire assassiner au cours d'un attentat organisé par l'armée. Le peuple Algérien a pu même suivre en direct à la télévision la liquidation de son président. Boudiaf fut le seul président à être regretté par les Algériens et le seul président à parler aux Algériens dans l'une des langues du terroir, soit l'arabe algérien tant méprisé par ses prédécesseurs et par ses successeurs, et passait parfois au français. Lors de sa première apparition à la télévision, il avait annoncé qu'il fallait parler «en arabe algérien» pour que tous puissent le comprendre. Fait inusité pour un président, il sortit de son texte officiel et improvisa. Il fit l'effet d'une bombe! Mais il avait séduit le peuple algérien qui le surnomma «Boudy». Boudiaf n'avait aucune sympathie pour les islamistes politiques qu'il qualifiait de «charlatans» et de «terroristes». Le FIS fut dissous en mars 1992, et une politique fut mise en œuvre contre les islamistes, lesquels répondirent par la lutte armée et le terrorisme.

Puis Boudiaf mit sur pied une commission afin de «geler» la loi portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe, juste avant son assassinat, le 29 juin 1992. Le décret 92/02 du 4 juillet 1992 suspendit ladite loi «jusqu'à réunion des conditions nécessaires». La population algérienne ne s'en plaignit nullement.

Au début de la même année, le ministre de l'Éducation avait dénoncé à la télévision la baisse spectaculaire du taux de réussite à l'examen du baccalauréat: seulement 2 %. En 1970, c'était 70 %, puis autour de 10 % en 1989. Mais les chiffres officiels gonflèrent le taux de réussite autour de 20 %. Et la note de passage était de 5 sur 20. Afin de contrer les échecs scolaires, les étudiants en vinrent à écrire, en tête de chaque exercice ou travail remis, le nom de Dieu. Quant au taux d'analphabétisme, il était officiellement de 50 %, bien que la réalité soit plus faible! Dans les zones rurales, le pourcentage d'analphabétisme chez les femmes atteignait presque 100 %. Mais l’assassinat de Boudiaf constitua un grand tournant psychologique de la guerre civile qui se mit en place. 

- La répression et la radicalisation des islamistes

L’intensification de la répression devint une priorité pour le régime dirigé par le général Liamine Zéroual, mais la radicalisation des islamistes entraîna une vague d'attentats visant surtout les forces de l'ordre, les intellectuels, les journalistes, les artistes et, depuis 1993, les ressortissants étrangers. Cette situation plongea alors l’Algérie dans l'instabilité et la violence, tandis que se développait en Kabylie un mouvement de revendication berbère hostile aux militaires comme aux islamistes. Après avoir utilisé l'arabe algérien et le français durant sa campagne électorale, Zéroual renoua aussitôt avec la langue froide et aseptisée qu'est l'arabe classique. Reniant toutes ses promesses électorale, il s'engagea également dans la dictature de type Boumédiène. 

De nombreuses manifestations furent organisées dans tout le pays pour revendiquer le statut de langue nationale au berbère. Lors de la rentrée scolaire de 1993-1994, les autorités algériennes proposèrent aux parents de faire un choix entre le français et l'anglais. On invoqua comme justification le fait que l'anglais était la langue par excellence de la science et de la technologie, et que la plupart des enfants préféraient apprendre l'anglais plutôt que le français. Comme le programme avait été improvisé, non seulement les manuels n'étaient pas prêts, mais l'État dut reconnaître qu'il ne disposait pas de professeurs qualifiés. En juin 1994, le ministre algérien du Culte décida de récompenser tout Algérien capable de réciter par coeur tout le Coran pour la somme de 600 000 dinars (équivalant alors à une année du salaire annuel d'un ouvrier).  

Les principaux partis d'opposition — le FIS, le Front des forces socialistes et le FLN — signèrent en 1995 un programme commun prônant l'ouverture de négociations rejetées par le pouvoir. Au lendemain d'une nouvelle recrudescence des attentats islamistes, le général-président Zéroual décida la tenue d'une élection présidentielle (nov. 1995) qui fut boycottée par l'opposition. Mais la forte participation à cette élection, remportée par Zéroual, témoignait de la volonté de la société algérienne de voir s’arrêter la violence (env. 100 000 morts). Malgré la mise en place de nouvelles institutions politiques en 1996, les attentats et les massacres se poursuivirent, tandis que les mesures d'arabisation hâtives de 1998 étaient très contestées.

Néanmoins, le président Zéroual décida de remettre en vigueur la loi d’arabisation du 16 janvier 1991 dans l'espoir de satisfaire ses alliés conservateurs et islamistes. Dix jours avant l'entrée en vigueur effective de la loi, le 5 juillet 1988, le chanteur kabyle Matoub Lounès était assassiné. Les Berbères investirent encore la rue et détruisirent toutes les affiches publiques écrites en arabe, laissant intactes celles rédigées en berbère ou en français. Au lieu de calmer la population, il la menaça au nom de l'unité de la nation, alors que celle-ci aspirait à la suppression du centralisme politique. Paralysé par la lutte des clans au sommet de l’État, Zéroual fut contraint de démissionner deux ans avant la fin de son mandat.

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